Les développements stupéfiants de l’intelligence artificielle générative (IA) ces dernières années sont, sans aucun doute, une révolution majeure. Ce qui rend cette transformation encore plus marquante, c’est sa rapide adoption par les masses, et pas seulement par les élites. Cet outil, qui bouleverse déjà nos quotidiens dans les secteurs tertiaires et ceux de la gestion/production d’information et de connaissance, soulève cependant des questions sur notre avenir. Si l’IA a le potentiel d’accélérer l’évolution technologique, comparable à des révolutions telles que la maîtrise du feu ou l’invention de l’imprimerie, elle pourrait aussi catalyser des inégalités sociales et économiques sans précédent. Cela ouvrirait la voie à ce que je nommerais un « néo-féodalisme » (ou un « techno-féodalisme »), où une classe extrêmement minoritaire contrôlerait richesse et outils de production, tandis qu’une majorité serait condamnée à une précarité croissante, assistée par un système de revenu universel de base.
Dans ce scénario, l’IA pourrait à terme concentrer (encore plus) le pouvoir économique dans les mains d’une élite, laissant la majorité dans un état de dépendance et d’appauvrissement. C’est cette réflexion que j’explore dans ce papier, qui m’habite depuis un certain temps.
La “commodification” de l’intelligence et du savoir-faire
L’intelligence artificielle générative rend aujourd’hui accessibles des compétences autrefois réservées à des experts, à des coûts dérisoires. Des algorithmes réalisent désormais des tâches intellectuelles – conception, analyse ou création – en un temps record. La création, nécessitant normalement des années de formation pour un être humain, est simulée par une IA en quelques secondes. Bien qu’elle assiste encore l’opérateur humain, l’efficacité de l’I.A. dépasse largement les attentes.
Cette tendance entraîne une « commodification » de l’intelligence : savoir et savoir-faire deviennent des biens de consommation facilement accessibles, comme en témoigne l’abonnement à ChatGPT pour 20 $ par mois. Cela réduit la demande pour les travailleurs qualifiés, y compris des professionnels tels que des experts-comptables, journalistes, ou même des médecins bientôt ( que ce soient des généralistes, ou des spécialistes comme un radiologiste).
Les grands capitaux, détenus par des figures comme Elon Musk, Bernard Arnault et une constellations d’autres, à divers niveaux de « super richesse », pourraient bientôt monopoliser ces technologies, éliminant ainsi la nécessité de nombreux travailleurs qualifiés.
Face à cette transformation, l’idée que « l’IA ne prendra pas ton travail, mais quelqu’un qui utilise l’IA le prendra » soulève une question épineuse : de combien de travailleurs « assistés par l’IA » a-t-on besoin pour remplacer plusieurs employés ? Les autres risquent de perdre leur emploi, aggravant l’inégalité socio-économique.
Bien que l’évolution des IA puisse à terme générer de nouvelles fonctions et opportunités, l’incertitude demeure quant aux impacts immédiats sur les travailleurs humains.
Une société de dépossédés
La démocratisation de l’accès à l’intelligence et à l’expertise via l’IA pour les élites économiques privera les détenteurs de compétences de leurs moyens de subsistance. Rapidement, deux classes distinctes pourraient émerger : une minorité extrêmement riche contrôlant les technologies et une majorité exclue du marché du travail. La mobilité sociale pourrait ainsi disparaître, créant une nouvelle forme de féodalisme.
Vers une extinction des classes moyennes et populaires
A cet égard, l’exemple du film Elysium illustre parfaitement la vision dystopique que m’inspire cette réflexion : une minorité aisée et technologique, dominant une masse de gens devenus inutiles, laissés à survivre dans une terre polluée et insécure. La seule valeur du travail humain pourrait alors disparaître (ou en tout cas, être grandement marginalisée), et avec elle, toute possibilité de négociation ou de révolte pour les classes dépossédées.
Dans ce monde, une élite jouirait d’un confort inouï tandis que la majorité, désœuvrée et marginalisée, vivrait dans la précarité, entretenue par des aides sociales minimales ou des distractions de masse. La seule valeur restante du travail humain pourrait disparaître, exacerbant les inégalités. Dans un tel contexte, le marché pourrait exploiter « le corps humain » comme ultime bien à vendre, illustrant tragiquement le terme « se vendre ».
Un avenir sans issue ou une réinvention du capital ?
Le futur reste incertain. Certains théoriciens appellent à redéfinir la valeur du travail dans un monde où l’IA remplace l’humain. Pour éviter le scénario dystopique, il faudrait réorienter le capital vers des formes plus inclusives et réduire l’exploitation des travailleurs. Toutefois, l’histoire montre que les élites ne cèdent rarement leurs privilèges sans contrainte. Cela fait craindre l’avènement d’un néo-féodalisme où la révolte deviendrait le seul recours pour rétablir l’équilibre.
Ce néo-féodalisme, accéléré par l’intelligence artificielle, pourrait être l’un des plus grands défis de notre époque, y compris en Afrique. Le risque d’effondrement des bases de la mobilité sociale est bien réel. Il incombe à nous, citoyens, ainsi qu’aux décideurs politiques et économiques, de veiller à ce que la technologie devienne une opportunité de progrès collectif, et non un outil de domination.